Images animée Emmanuel Pierrot
Tout ça, c’est la faute de Manu, Emmanuel Pierrot, notre coturne de Tu Mitonnes, chaque jeudi. Voilà t’y pas qu’il nous a envoyés de ses Vosges, un sacré attelage : Sarah et son cochon, Henry, artistes à tout faire du Piglet Circus qui m’a l’air d’être une sacrée armée mexicaine, une foutue auberge espagnole. La belle et la bête quoi, version circassienne. «On a déjà vu et on n’en veut plus», diront les opposants à la présence animale sous chapiteau. On voit aussi venir les vegans qui n’en peuvent plus qu’on leur cause de notre passion immodérée pour l’échine de cochon aux flageolets (en boîte s’il vous plaît).
Morgan et Gabin
Sauf que là, on est dans le dur du mektoub, dans la moelle de l’essentiel : Sarah et son cochon se roulent une pelle. Et ce n’est pas du cirque. C’est de l’amour, de la complicité, de la fidélité. A côté, le baiser de la Morgan et du Gabin dans Quai des brumes, c’est de la roupie de sansonnet. Non, on exagère. A peine. Car Sarah et son cochon pourraient aussi murmurer «T’as de beaux yeux tu sais», comme dans le film de Marcel Carné (1938). Cette scène saisie dans l’œil de Manu Pierrot nous a profondément bouleversés. Car elle dit encore une fois qu’il ne peut y avoir d’humanité sans animalité. Faut pas croire, elle saute autant à la gueule des mangeurs de filet mignon qu’à celle des amateurs de tofu. D’ailleurs, qui des deux camps connaît le mieux le nourrain ?
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Viande et fumier
Le cochon est sans doute le plus flamboyant des omnivores, mais cela n’en fait pas une raison pour le bouffer à tous crins. Sauf que c’est justement parce qu’il dévore pratiquement tout que l’animal et l’homme ont noué une relation privilégiée. D’où l’affirmation de John Seymour dans Revivre à la campagne (1) : «Jetez à un cochon n’importe quel légume et n’importe quelle autre culture, et il va ou bien le manger – le transformant en quelques heures en une viande fameuse et en un fumier de première qualité – ou bien il va l’enterrer, faire ses besoins par-dessus et transformer ainsi votre légume en compost. Mettez un cochon dans un pâturage en friche ou dans un maquis que vous désirez préparer pour le cultiver, et il le labourera pour vous, le défrichera, le fumera, tout en y trouvant sa subsistance.»
John Wayne
Il faut bien l’avouer, on vient d’une époque révolue où le porc était considéré comme un garde-manger à quatre pattes avec lequel on nouait une complicité de Médor jusqu’à la tue-cochon. On lui fricassait des bons petits plats à base de patates glanées de la fin de l’été jusqu’au début de l’hiver quand le tueur, aussi solitaire que le cow-boy John Wayne, venait lui trancher la carotide avant une débauche de boudins, de pâtés, de rillons, de jambons, de lards confectionnés par la tribu des apaches de la ferme. La messe porcine était sanctifiée par un drôle d’apôtre dont la mission reposait sur une trinité contrastée : l’absorption de kils de rouge étoilé, la toilette minutieuse des morts du village et surtout l’art du saloir consistant à conserver la viande de cochon dans le sel et la saumure.
Steak sans viande
Depuis le temps que l’on radote sur l’échine, on confesse bien volontiers être hanté aujourd’hui par le débat entre la côte de bœuf et la «folie du steak sans viande» dont le Parisien faisait sa manchette samedi. Qu’en dirait Max, feu le cochon de compagnie de George Clooney ? Il se retournerait sans doute dans sa bauge tombale quand, à l’heure du déconfinement, Charal, le mammouth industriel du steak haché, nous matraque avec ses chéquiers de réduction.
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Ito Ogawa
Alors oui, chère Sarah, on ne touchera même pas une soie de Henry, même si ça nous démange grave la couenne. Parce que votre baiser nous a d’autant plus chavirés qu’il survient quelques semaines après la lecture d’une autre histoire de femme et de cochon : Le restaurant de l’amour retrouvé de l’écrivaine japonaise Ito Ogawa (2) où il est question d’Hermès, une truie vivant dans une soue grandiose, nourrie exclusivement de légumes bio, de maïs et de soja non transgénique et de pain au levain pétri à la main, commandé spécialement pour elle dans une célèbre boulangerie de Tokyo. Sarah, écoutez la narratrice évoquant ce cochon qui sait tout de tous : «Hermès avait les yeux entrouverts. Elle non plus ne trouvait pas par le sommeil, semblait-il. Peut-être savait-elle déjà ?
Je me suis approchée, et comme un bon chien de garde, elle est venue vers moi. Ses petits yeux rivés sur moi, elle a penché la tête. Au clair de lune, Hermès était beaucoup plus mignonne que d’habitude, à la lumière du jour. Submergée par l’émotion, j’ai entouré de mes bras son dos imposant.
Son corps était tiède, on ne pouvait pas vraiment dire qu’il sentait bon, même en faisant un effort, mais pour mon nez habitué à cette odeur, c’était le parfum entêtant de la prairie.
Hermès, son groin collé à mon oreille, respirait bruyamment. Incapable de résister au chatouillis, j’ai failli éclater de rire.»
Courez vous procurer ce roman et rencontrer Sarah et Henry et le Piglet Circus quand ils seront de passage près de chez vous. On s’est dit que la belle et la bête pourraient partager les «pommes de terre en papillotes» de Monsieur Paul (3), une recette que l’on pourra faire en extérieur cet été sous la braise.
Patates façon Bocuse
Pour quatre personnes, il vous faut : 4 grosses pommes de terre de qualité Bintje (vieilles) ; du beurre ; de la crème fraîche ; du gros sel ; de la ciboulette (facultatif).
Faites chauffer votre four à 270 degrés. Prenez des grosses pommes de terre, lavez-les soigneusement, séchez-les. A l’aide d’un petit couteau de cuisine pointu, faites une encoche assez profonde en forme de croix sur un des côtés. Coupez des carrés de feuilles de papier aluminium dans lesquels vous enveloppez soigneusement les pommes de terre. Mettez-les à cuire au four ou sous la braise pendant une heure environ. Vérifiez la cuisson en les piquant avec un couteau. Dégagez proprement le côté sur lequel vous avez pratiqué une ouverture en écartant le papier aluminium comme une collerette. Dressez sur un plat de service. Offrez sur la table : beurre bien frais, crème fraîche épaisse, gros sel, poivre, éventuellement de la ciboulette soigneusement lavée, épongée et coupée finement.
N’oubliez pas les petites cuillères qui sont plus pratiques pour manger les pommes de terre ainsi préparées.
(1) Revivre à la campagne de John Seymour (éd. De Borée, 2007).
(2) Le restaurant de l’amour retrouvé d’Ito Ogawa (éd. Picquier, 2015).
(3) Bocuse dans votre cuisine de Paul Bocuse (éd. Flammarion, 1982)
June 25, 2020 at 05:09PM
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